Résidences d’écriture en condition
« Un écrivain qui a un bureau est un écrivain mort »
De mai 2015 à mai 2016, je suis présent dans des espaces communs pour dix semaines de résidence d’écriture, seul avec un lit, un bureau, une chaise et mes carnets. Mon travail est d’éprouver la trame du Roman à venir tout en continuant à le nourrir de matière concrète.
Les meubles que j’habite sont mobiles et autonomes, ils permettent de se déplacer dedans et/ou dehors. Ils sont dessinés par 2M26.
A partir d’un bâtiment relai ou d’une structure d’accueil, j’ambule avec mes meubles dans le lieu et dans la rue, sans aucun itinéraire prédéfini, sans autre emploi du temps que le rythme des 24 heures qui font une journée et des ateliers d’écriture éventuels à partager avec les usagers dudit lieu.
Je dors, je mange, j’anime, je travaille, j’écris.
J’y suis œuvre vivante permanente, 24h/24h.
Ma vie quotidienne est rythmée par le hasard des rencontres et des lieux que je traverse. Dans mes carnets, je nourris la matière de mon Roman grâce à la chose en soi de mon action artistique : habiter la rue et s’offrir un voyage à vitesse humaine dans la ville pour réinterroger les questions du commun, de la cité, et le paysage urbain de la rue contemporaine.
Qu’est-ce que ca raconte à ceux qui me croisent ?
Comment les lieux raisonnent autour de cet appartement de rue ?
Quels marqueurs de temps et de souvenir cela créé-t-il pour la Ville et ses habitants ?

Un peu de Temps
28/08/2014 Basel, Suisse
Ronald : "A six ans je voyais le portrait du pape chez mes grands-parents. A 56 ans, mon fils à Berlin m'a fait jouer le Pontifex Maximus à la VolksBühne. Tu vois, il faut toujours y croire.
Je suis peintre, mais je ne ferai rien dans ton carnet.
Attends! Je vais quand même te donner un peu de mon temps".
Il déchire une page de son Agenda et me la tend. Il me donne un peu de son temps.

Juliette et Alice
17/02/2015 Nancy, France
Tu forces le hasard en réunissant à ta table les coïncidences : Juliette et Alice se rencontrent et se racontent leur histoire.

Noir et blanc
12/05/2015 Le Blanc, France
Tu arrives au Blanc juste pour voir tomber les couleurs.

Le Convoi de l'eau
13/05/2015 Le Blanc, France
Un nouveau chapitre. Tu penses au Convoi de l'eau d'Akira Yoshimura, qui raconte les habitants d'une ville oubliée, perdus au milieu de la forêt.

Monochrome
13/05/2015 Le Blanc, France
A la cave, l'harmonie municipale devient une oeuvre d'art contemporain qui révèle qu'à tout commencent, il y a un blanc.

Au Café du Centre
13/05/2015 Le Blanc, France
Face à face

Idée de Ville
13/05/2015 le Blanc, France
Le Blanc est une maison de poupée rangée dans un grenier.

Impasse du Paradis
13/05/2015 Le Blanc, France
Tu vas jusqu'au bout, ça sent le pipi.

Les Rails
14/05/2015 Le Blanc, France
Tu cherches la bonne voie.

Laverie automatique
14/05/2015 Le Blanc, France
Il pleut.

Maison de pluie
15/05/2015 Le Blanc, France
Ton lit est sur scène. Tu regardes les rideaux de pluie faire le baldaquin de ta nuit.

Hasard
15/05/2015 Le Blanc, France
C'est le hasard qui fait la vibration de la liberté : accepter de ne pas savoir.

Table des matières
15/05/2015 Le Blanc, France
Le bureau imprime la trame du récit : tu y écris l'histoire dans tes carnets, avec les traces de ronds de café, les échardes, les coups de couteau ou de crayon de bois.

Trophée
16/05/2015 Le Blanc, France
Assis dans la rue, tu es le chasseur qui attend sa proie.
A les écrire, tu finis par tuer les histoires.
Que tu le veuilles ou non, ton livre sera une salle des trophées.

Etude de marché
16/05/2015 Le Blanc, France
Ton bureau d'étude au marché reste vide. C'est la crise.

Exposition
16/05/2015 le Blanc, France
De Sebastien Cé.

Place du Marché
16/05/2015 Le Blanc, France
Tu l’entends d’abord, le Maire, ici, c’est un salaud, hein madame, oui, bonne journée à vous aussi, (et puis, entre les dents) le maire ses morts. Après tu la vois, face de lune en parchemin et cheveux en pelote – comme ses nerfs, j’ai pris du bon fromage, mon gars, mais maintenant y’en n’a plus, y’’a plus de lait, y’a plus de vache ses morts.
Elle suce ses dents en disant ses morts, ça fait un bruit que tu ne connais pas encore, et ses yeux c’est des serpents.
En bas de chez nous y’a des vergers, ils disent qu’on vole, mais ils peuvent venir, y’a rien de touché. Des poires longues comme ça (elle fait comme un bras d’honneur, elle a un pouce à l’équerre à cause de l’arthrite, et des ongles de sorcière) qu’ils laissent dans l’herbe, toutes piquées.
Elle a les doigts tâchés de noir comme les poires dont elle parle. Elle achète des fruits au marché, la preuve qu’elle n’en vole pas.
Les rhumatismes et l’arthrose mon garçon, faut que je me mette au soleil pour me réchauffer, je peux pas enlever ça (son gilet), sinon ça me gèle. Des fois la nuit dans ma caravane, je me lève et (elle hurle) j’ai froid ses morts mon garçon, j’ai froid ses morts.
Ses dents font un échiquier, y’en manque une et puis l’autre. Elle mâche pas ses mots, elle les hache.
Dans le temps ici c’était beau, y’avait de l’ombre, y’avait un machin d’eau ça marchait toute la nuit et puis là ou y’a la dame ses morts là-bas y’avait les toilettes, tu pouvais te descendre et te laver.
Sur les maisons de la place elle compte les fenêtres et les cheminées, une fenêtre, deux fenêtres ses morts, une cheminée, deux cheminées et ses morts partent en fumée.
Sur la place du marché blanche minérale, comme rhabillée de plastique par notre temps pour désinfecter le quotidien, elle ouvre des tranchées avec le verbe, déballe son sac de plastique pour te montrer une photo d’elle plus jeune, on dirait Claudia Cardinale, ou une Apache, sans mentir, dans le regard et dans la peau, ses rides c’est des sillons et son front la plaine – son visage, un voyage.
Elle fait la carte de France des lieux de naissance de ses frères, Isère, de ses parents, morts y’a longtemps, ses morts, de ses nièces et neveux, Montperreux.
Devant nous, dans le silence, repousse l’arbre de la place qui autrefois faisait de l’ombre, sur le béton de sa généalogie. C’est son souvenir qui fait la repousse, la mémoire des rejets.
Les morts aux dents.

Evasion
07/10/2015 Chaligny, France
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Carnets
07/10/2015 Chaligny, France
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Dans le silence ou dans le bruit
08/10/2015 Chaligny, France
Carnets volants : je trimballe 35 carnets avec moi dans lesquels je fais écrire en atelier. On y dépose parfois des miracles.

Simon
07/10/2015 Chaligny, France
Je donne à ces élèves de 3ème l'exercice suivant : écrire dans leur carnet une liste de cinq choses insignifiantes qu'ils voient dans la rue autour d'eux, mais qu'ils n'auraient pas vu si ils ne s'étaient pas arrêté là ; si ils n'avaient pas disposé leur regard à recevoir ces "détails remarquables". Se faire l'oeil auteur, voir ce que les autres ne voient pas.
Simon, 14 ans, complète : "Avant, ce que je voyais autour de moi était un environnement. Maintenant que je l'ai écrit, c'est un décor".
That's It.

Mickie
08/10/2015 Neuves-maisons, France
Je viens de Roumanie. Il a fallu la révolution pour remplir les rues. J'ai vu des camions avec des grappes de militaires accrochées dessus.
En arrivant en France, après avoir fait mes premières courses, François m'a dit: "t'as pas pris le bon ketchup". Je lui ai répondu : "En Roumanie, y'avait que deux sortes de Ketchup : le Ketchup, et le pas de Ketchup". T'as compris?

François
08/10/2015 Neuves-Maisons, France
"Chez nous, on garde un marron dans la poche, ça porte bonheur"

Réveil
09/10/2015 Chaligny, France
5h59, vendredi matin
Tchidam (Femme de ménage 1) - Tu crois qu'il y a vraiment quelqu'un qui dort?
Héléna (Femme de ménage 2) - A mon avis c'est un mannequin
Moi - Ca c'est sympa les filles, comment vous savez?

Bibliothèque mentale
12/10/2015 Chaligny, France
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Palabre
12/10/2015 Chaligny, France
Ne jamais cesser de rencontrer.

Calligraphie
12/10/2015 Chaligny, France
A écrire debout, dans la rue et le froid, on arrive à calligraphier malgré soi.

Bialetti
13/10/2015 Chaligny, France
Tous les matins de ma vie : Café italien, fort, serré. Ecrire mes rêves, sérrés, forts.

Collège
15/10/2015 Chaligny, France
Huit jours pour écrire à 260 plumes, feu et flammes. L'adolescence est une caféine.

Biographes
16/10/2015 Chaligny, France
Et puis, soudain, dans ma maison de cette semaine, des collégiennes qui repassent par la par hasard deviennent les biographes d'apprenants du Français qui leurs racontent les rues du Tibet, du Kossovo, de l'Albanie, de la Sierra Leone, du Nigeria

Evara
16/10/2015 Chaligny, France
Joseph raconte ses deux chemins du Nigéria à Neuves-Maisons : un vrai, et un inventé.

Chambre avec vue
22/02/2016 Brest, France
A l'école Kerbernard de Brest, tu t'installes entre deux classes. Ta chambre regarde des chambres qui te regardent.

Chiara
22/02/2016 Brest, France
Chiara est élève dans l'école que tu habites. Elle vit avec sa mère dans un appartement de la barre en face de l'école. On se donne rendez-vous à la nuit tombée pour se faire coucou de fenêtre à fenêtre.
Et on le fait.

Ebullition
22/02/2016 Brest, France
On te raconte que dans le quartier, c'est parfois bouillant.
D'un côté la poudre, de l'autre l'eau.
Il faut bien que ça passe pour que le mélange se fasse.

Adresse
23/02/2016 Brest, France
Maintenant j'habite pour de bon ici. C'est le facteur qui le dit.

Banane
23/02/2016 Brest, France
Morgane a déposé sans me le dire une assiette remplie de gâteaux à la banane, qu'elle a tenu à faire elle-même, avec une petite photo de "Nicolas Turon", comme disent les élèves ici, préparant son voyage à Brest. De quoi me la foutre toute la journée, la banane.

Goûter
23/02/2015 Brest, France
Ils sont venu écrire spontanément dès que la cloche a sonné, les quatre terribles de l'école. Volé chacun un coin de bureau, ils écrivent, peu importe quoi. Et les parents qui viennent les chercher l'un après l'autre, les yeux comme des soucoupes : "Quest-ce que vous leur avez fait?"

Chiara (2)
23/02/2016 Brest, France
Avec Chiara, mon élève d'atelier le jour et ma voisine d'en face la nuit, on s'est dit qu'aujourd'hui on se prenait en photo mutuellement à la tombée de la nuit.
Et on le fait.

Histoire
28/03/2016 Brest, France
Au-dessous la frise de l'histoire de France, je colle mon nom, écrit par Martine qui a lavé les draps de mon lit.
Je deviens un évènement historique de l'histoire.
Au moins de celle de cette école, celle sans majuscule.

Tapis rouge
29/03/2016 Brest, France
Avec un simple tapis, on habille un lieu commun. On monte en gamme, bureau de première classe.

L'Encre et le Papier
29/03/2016 Brest, France
Ecrire sur du papier. Faire écrire sur du papier. Recevoir des courriers. Remplir des carnets. Dérusher des carnets. Rendre compte. Raconter. Faire des tâches de café. Raturer. S'exercer. Ecrire ses rêves.
Redonner de la valeur émotionnelle à l'incroyable rapport poids/puissance de l'encre et du papier.